• Style Art déco

     

     

    "1925, c'est le marathon international des arts de la maison", écrivait Le Corbusier au sujet de l'Exposition des arts décoratifs et industriels qui se tenait à Paris cette année-là et qui donne son nom au style art déco ou 1925, qui triomphe alors en réaction contre l'art nouveau. 

    En effet, l'art déco, qui se situe entre 1909 et 1925, marque la fin du modern style, tandis que naissent les conceptions fonctionnelles de l'art contemporain. L'époque est riche en mouvements d'avant-garde — le Bauhaus en Allemagne, De Stijl en Hollande, l'Esprit nouveau et le cubisme en France — et tend vers la simplification totale des lignes et la suppression de l'ornement. Les meubles 1925 sont influencés par le cubisme : les lignes droites, le carré et le cercle dominent. Mais l'exécution montre une volonté de retour vers les styles classiques. Les ébénistes y apportent un soin extraordinaire ; plus que simples ébénistes, ce sont de véritables créateurs : Ruhlmann, Groult, Süe et Mare réalisent des meubles en ébène à incrustations ou en marqueterie de bois précieux. 

    On se trouve donc devant un étrange paradoxe. Alors que le Bauhaus existe déjà et que ses artistes sont en train de jeter les bases du style contemporain, alors que le cubisme (1910) est déjà dépassé et que le mouvement dada (1916) a laissé la place au surréalisme (1924), la Compagnie des arts français et d'autres grands créateurs inventent, créent de toutes pièces le dernier des styles "décoratifs", l'art déco. Il vivra peu, le temps des "années folles". C'était encore une fois une question d'ambiance. La première guerre venait de finir, et la génération d'après 1918 n'était pas d'humeur à s'entourer des lignes froides et dépouillées que lui proposaient les artistes d'avant-garde. 

    Bien au contraire : "L'ornement semblait prendre une revanche sur les temps inhumains que l'on venait de traverser", nous raconte Tony Bouilhet. Les "années 25" ont été à leur manière une renaissance de la Belle Époque. Les jeunes femmes coiffées à la garçonne, portant les robes sans ceinture dessinées par Poiret ou par Chanel se sont jetées dans la frivolité et l'exotisme pour ne pas avoir à faire face à une société nouvelle, à une nouvelle manière de vivre. Alors, on se tourne vers le jazz, vers la couleur, vers les ballets russes qui, tout comme un film peut imposer une mode vestimentaire, imposent une gamme de tonalités inattendues et contrastées. Les intérieurs jusqu'ici traités dans des tons suaves et de "bon goût" deviennent noirs et blancs ou violets ou orange ou écarlates. Cela nous paraît normal aujourd'hui, car nous sommes saturés de couleur, mais en 1920, ou même encore en 1925, la couleur était une nouveauté : on l'avait oubliée, reléguée, depuis les vernis Martin aux tons éclatants du XVIIIème s. Le XIXème s. était un siècle sobre : du vert, de l'acajou, du gris. L'arc-en-ciel de l'art déco était une fête et, sous cet aspect, une fête moderne. L'électricité aussi sera enfin utilisée dans le décor. Jusqu'ici elle était utilitaire ; désormais, elle souligne les plafonds, court le long des rampes, se répand en chutes, fait miroiter les appliques, jaillit des fontaines de verre. Lalique, dont les bijoux avaient obtenu un grand succès à l'Exposition 1900, continuait à occuper une place de choix dans l'art décoratif de son temps. Il saura utiliser le verre et la lumière pour créer des objets, des lustres, des appliques parmi les plus typiques de l'époque. Autre matériau que l'on emploie à nouveau beaucoup : le fer forgé sous forme de grilles, même au milieu d'une pièce, ou sous forme de motifs dorés ou argentés qui se surajoutent aux décorations. 

    La production des artistes traditionnels vient aussi répondre à ce besoin de luxe raffiné, d'ambiance chaude et protectrice, mais originale, que le public élégant désire. Pierre Chareau construit et aménage pour le docteur Dalsace une des premières maisons modernes françaises, rue Saint-Guillaume, où elle existe encore. Il dessine en même temps tous les éléments du décor, y compris les bureaux et fauteuils qui, eux, respirent encore la nostalgie du gondolé Louis-Philippe. André Groult adapte à sa manière les lignes du style Restauration et crée des bergères arrondies à accotoirs enroulés. Iribe, le plus proche du XVIIIème s., emploie des matières riches : acajou, galuchat, ébène ou bois marquetés. L'appartement de Jeanne Lanvin, rue Barbet-de-Jouy, est aménagé avec le concours d'Armand Rateau et Paul Plumet, avec lesquels elle avait conçu l'installation du théâtre Daunou. Süe et Mare, qui fondent en 1919 la Compagnie des arts français, groupent autour d'eux Paul Vera, Dunoyer de Segonzac, Boutet de Monvel et s'occupent de tous les problèmes de la décoration : tissus, éclairages, bronzes ; ils éditent des meubles d'inspiration légèrement louis-philipparde. Clément Mère emploie du macassar, des cuirs laqués, de l'ivoire, du palissandre. 

    Les grands magasins eux-mêmes emboîtent le pas et confient leurs ateliers de meubles à d'importants créateurs. Paul Follot dirige "Pomone" au Bon Marché, pour lequel il conçoit des meubles laqués ou marquetés, ornés de chutes de feuilles ou de corbeilles de fleurs sculptées, proches de celles que l'on aimait au XVIIIème s. Maurice Dufrêne est à la tête de l'atelier de "la Maîtrise", aux Galeries Lafayette, et Djo Bourgeois travaille pour le "Studium" des magasins du Louvre. La production des grands magasins va accélérer la distribution des meubles art déco et va répandre ce style dans le grand public. Vingt ans plus tard, celui-ci continuera à considérer l'art déco comme le symbole du confort et de l'aisance bourgeoise, et comme le comble du moderne. 

    Mais il faut parler ici de Ruhlmann, qui s'affirme comme le plus grand créateur de mobilier de luxe. Il avait fondé, après la guerre de 1914-1918, les ateliers Laurent et Ruhlmann. Les modèles que nous tenons de lui sont d'une élégance et d'une finition remarquables, et on peut le considérer comme un des derniers grands créateurs de meubles d'ébénisterie que la France ait connus. Il utilise de préférence les bois précieux, l'amarante, le placage d'ébène, le macassar, le palissandre, la loupe d'amboine, le bois de violette. Les formes sont légèrement galbées et, trait spécifique, les pieds sont toujours en fuseau. A l'Exposition de 1925, Ruhlmann occupe une place de premier plan. 

    Un pavillon entier, baptisé Hôtel d'un collectionneur, lui est confié. Il l'installe en collaboration avec des architectes et des sculpteurs comme Bourdelle, Despiau, Pompon, et des dessinateurs comme Jean Puiforcat (le plus grand nom de l'orfèvrerie 1925). 

    En effet, cette exposition des arts décoratifs, qui groupe tous les créateurs de l'époque, marque l'apogée de ce style, qui va décliner peu d'années après. 1930 sera une époque de crise financière : plus personne ne songera à se meubler d'une manière luxueuse. L'art conformiste avait été secoué par Dada et par le surréalisme, la révolution russe avait bouleversé le monde, Manhattan et ses gratte-ciel éblouissaient les Européens. Après le feu d'artifice des années folles et de son décor nostalgique, la place était désormais prête pour l'art et le mobilier contemporains. 

     

     

     

    http://www.artdeco.fr/lart-deco-histoire-de-style-tendance-du-design-1920-1939/

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